Un groupe tout à l’heure était là sur la grève,
Regardant quelque chose à terre : « Un chien qui crève ! »
M’ont crié des enfants ; voilà tout ce que c’est !
Et j’ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait.
L’océan lui jetait l’écume de ses lames.
« Voilà trois jours qu’il est ainsi », disaient les femmes.
« On a beau lui parler, il n’ouvre pas les yeux »
« Son maître est un marin absent », disait un vieux.
Un pilote, passant la tête à la fenêtre,
A repris : « le chien meurt de ne plus voir son maître!
Justement le bateau vient d’entrer dans le port.
Le maître va venir, mais le chien sera mort! »
Je me suis arrêté près de la triste bête,
qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête,
Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé.
Comme le soir tombait, le maître est arrivé,
Vieux lui-même, et, hâtant son pas que l’âge casse,
A murmuré le nom de son chien à voix basse.
Alors, rouvrant ses yeux pleins d’ombre, exténué,
Le chien a regardé son maître, a remué
Une dernière fois sa pauvre vieille queue,
Puis est mort. C’était l’heure où, sous la voûte bleue,
Comme un flambeau qui sort d’un gouffre, Vénus luit ;
Et j’ai dit : « D’où vient l’astre ? Où va le chien ? Ô nuit ! »
Victor Hugo « Les Quatre Vents de l’esprit », 1881
Ce poème a été sélectionné par le Dr CARRERE