« L’hiver est sorti de sa tombe,
Son linceul blanchit le vallon ;
Le dernier feuillage qui tombe
Est balayé par l’aquilon.
La linotte a fui l’aubépine,
Le merle n’a plus un rameau ;
Le moineau va crier famine
Devant la vitre du hameau.
Le givre que sème la bise
Argente les bords du chemin ;
A l’horizon la nue est grise :
C’est la neige pour demain. »
Pour les amateurs de littérature, voici un extrait du poème Le Premier Givre d’Arsène Houssaye qui résume parfaitement les difficultés que rencontrent de nombreux animaux sauvages en cette période sous nos latitudes. A chacun sa méthode pour faire face à des situations complexes pour trouver le gîte et le couvert.
La résistance au froid (la fourrure du castor d’Europe, les réserves de graisse du renard polaire), la migration (fréquemment pratiquée par les oiseaux : oies, cigognes, palombes…) font partie des stratégies d’adaptation au froid mais celle retenue dans notre article est l’hibernation.
Ce sont principalement et quasi exclusivement les mammifères qui sont concernés par cet état.
L’hibernation est un état d’hypothermie régulée durant plusieurs jours ou semaines qui permet à des animaux de conserver leur énergie pendant l’hiver.
On distingue trois grands types de ralentissement ou de cessation des activités durant l’hiver dont seul le dernier peut être qualifié d’hibernation proprement dite :
La torpeur est un état physiologique qui s’arrête dès que l’air se réchauffe, c’est-à-dire que lorsque la température extérieure augmente, l’animal réajuste sa température interne en la diminuant légèrement afin de ne pas gaspiller d’énergie pour se réchauffer. Certaines chauves-souris peuvent ainsi entrer dans un état de torpeur quotidienne.
La somnolence hivernale (ou hivernation) concerne des animaux comme les ours, les blaireaux, les ratons laveurs et les opossums. On dit d’eux également qu’ils sont des semi-hibernants. Cet état est entrecoupé de nombreux réveils et accompagné d’une hypothermie modérée n’entraînant pas une interruption de toutes les activités physiologiques. Ainsi l’ourse donne naissance aux petits pendant l’hiver. Les organes vitaux restent à une température presque normale pour réagir en cas de danger.
L’hibernation conduit à une véritable léthargie des animaux et entraîne une chute conséquente de leur température interne. Cette température est toujours positive mais elle peut approcher de 0°C (3,5°C chez le spermophile ou écureuil américain, -2,9°C au niveau de la température abdominale du spermophile arctique). Les animaux hibernants sont les marmottes, les loirs, les lérots, les hérissons, les moufettes, certains hamsters, souris et chauves-souris.
Les autres mammifères, c’est-à-dire la grande majorité, sont obligés de maintenir une température constante dans un environnement froid en régulant leur température par des processus physiologiques nommés thermogenèse.
Pour résumer, ce qui différencie l’hibernation de l’hivernation se situe d’une part, dans le niveau de vigilance observé chez les animaux qui les pratiquent et d’autre part, dans le maintien ou non de la température corporelle.
Chez les hibernants, les seules zones actives du cerveau sont celles permettant le maintien du bon fonctionnement des fonctions vitales : ils sont dans un état léthargique. De plus leur température corporelle chute considérablement entraînant aussi une forte diminution du flux sanguin et du rythme cardiaque lequel peut passer de 360 battements par minute à seulement 3 comme pour l’écureuil américain.
On distingue deux catégories d’hibernants :
les hibernants opportunistes qui hibernent n’importe quand dès que la température extérieure est inférieure à 6°C pendant 48 heures. Leur aptitude à hiberner est meilleure en hiver c’est-à-dire à partir de septembre.
les hibernants saisonniers comme le spermophile ou écureuil américain qui ne sont capables d’hiberner qu’entre mi-novembre et mi-février. En dehors de ces périodes, même si les conditions sont favorables à l’hibernation, ils ne peuvent hiberner.
L’abri des animaux hibernants est appelé terrier ou hibernaculum. Il est choisi pour éviter les variations thermiques importantes. Les animaux se mettent dans une position qui garde le maximum de chaleur, généralement en boule. La diminution de la température corporelle interne entraîne un ajustement des différentes fonctions de l’organisme.
Le métabolisme diminue de 98 %.
On note aussi une baisse :
– de la consommation d’oxygène.
– du rythme respiratoire.
– du rythme cardiaque (de 500 à 5 battements/minute pour le lérot).
– du flux sanguin (il y a une irrigation particulière au niveau du cerveau, du cœur et du tissu adipeux).
– du taux d’hormones.
Le système nerveux demeure réactionnel. Cependant, seules les aires cérébrales assurant les fonctions végétatives autonomes comme la respiration restent réellement actives. Les autres régions ne montrent pas d’activité corticale spontanée, mais l’animal réagit aux bruits, au toucher etc…
Au cours de l’hibernation, il y a des réveils périodiques à des moments variables, mais très rares, et de plus en plus fréquents au fur et à mesure qu’on approche de la fin de l’hibernation. Le réveil dure quelques heures et correspond à une remontée rapide de la température corporelle et ceci pour tous les hibernants avec une périodicité variable.
Le hamster doré se réveille tous les 3-5 jours et le spermophile tous les 15 jours. Pendant ces réveils, l’animal tourne dans le terrier, mange, urine et se rendort. Ces réveils sont fondamentaux pour éliminer les déchets toxiques du métabolisme. Ils utilisent le tissu adipeux brun. 90% de la perte de poids est due à ces phases de réveil.
Les hibernants sont généralement des animaux de taille moyenne. S’ils sont trop petits, leur métabolisme très élevé empêche de longues périodes d’hibernation car même avec un rythme cardiaque plus faible, les réserves sont insuffisantes.
S’ils sont de grande taille, le métabolisme est relativement bas, donc la remontée de la température corporelle demanderait plusieurs jours. L’énergie nécessaire lors des périodes de réveil serait trop conséquente. Les scientifiques pensent que pour que l’hibernation soit un gain pour la vie de l’animal, il ne doit pas dépasser 7 kg.
Certains hibernants comme les marmottes gardent une hibernation sociale. Dans chaque terrier, jusqu’à 20 parents et jeunes animaux se tiennent l’un près de l’autre, de sorte qu’ils peuvent se réchauffer lorsque la température hivernale chute trop. Cela augmente les chances des jeunes qui ont moins de réserves d’énergie de survivre à des hivers très rigoureux.
Comme déjà évoqué précédemment, l’hibernation véritable se produit uniquement chez les mammifères, mais chez certains oiseaux, on connaît des conditions semblables à l’hibernation. Ainsi, les colibris réduisent leur métabolisme en cas de manque de nourriture ou de froid et tombent dans une rigidité.
Sous nos latitudes, pendant des périodes de disette, on constate chez les martinets une légère diminution de la température corporelle pendant leur sommeil. Le seul et unique oiseau à pouvoir hiberner est l’engoulevent de Nuttall (phalaenoptilus nuttallii) qui vit sur le continent nord-américain.
Concernant les animaux à sang froid comme les grenouilles, les crapauds, les serpents, les lézards et les tortues, on parle plus précisément de brumation. C’est un terme issu de l’anglais qui décrit la léthargie ou dormance hivernale adoptée par ces animaux pendant les mois les plus froids.
La brumation est à ces animaux ce que l’hibernation est aux mammifères.
Alors que septembre se transforme en octobre, les lézards, les tortues, les grenouilles et les serpents commencent à ralentir leur rythme de vie. L’appétit des serpents diminue, les tortues cherchent un endroit pour creuser et les lézards restent immobiles pendant de longues périodes. Lorsque les températures commencent à chuter et que les jours se mettent à raccourcir, ils cherchent une cachette chaude et sûre où leur métabolisme peut ralentir en attendant le printemps.
La température ambiante idéale pour la brumation est comprise entre 4,5°C et 10°C. Leur activité, leur température corporelle, leur fréquence cardiaque et leur fréquence respiratoire chutent comme en hibernation. Mais contrairement aux hibernants qui dorment profondément et qui ne bougent pas du tout en dehors des phases de réveil, les animaux à sang froid peuvent se déplacer lors de journées hivernales plus chaudes et trouver l’eau nécessaire à leur survie.
En règle générale, ils ne mangent rien durant cette période. En effet un apport alimentaire pourrait leur être fatal puisque la nourriture risque de ne pas être digérée et pourrir. Les animaux ont stocké des réserves de graisse dans leurs tissus qu’ils éliminent lentement. La perte de poids est étonnamment faible puisque, par exemple, pour le lézard vivipare, elle ne dépasse pas 2 à 10% du poids total pour tout l’hiver.
Certains animaux « brumatent » seuls, d’autres en groupes. Il est possible que des espèces différentes passent l’hiver au même endroit : des lézards vivipares avec des orvets, des vipères péliades, des couleuvres à collier, des crapauds communs ou des salamandres tachetées.
Particularité pour la cistude d’Europe, elle peut se mettre à l’abri sous un tas de feuilles sur la terre ferme ou creuser une cuvette dans la vase au fond de l’eau dont elle absorbe l’oxygène par les membranes de sa bouche, de sa gorge et de son cloaque.
Comme notre tortue semi-aquatique, les amphibiens peuvent passer la mauvaise saison soit sur la terre ferme, soit dans l’eau. Aucune espèce n’est exclusive. Les abris hivernaux se trouvant sur la terre ferme sont souvent les mêmes que ceux des reptiles puisqu’ils ont des exigences identiques (crevasses rocheuses, toutes sortes de fissures ou de trous dans le sol, terriers…).
De nombreuses grenouilles passent l’hiver dans l’eau. Tant que l’eau ne gèle pas, les grenouilles ne gèlent pas non plus. Le seul problème est d’avoir suffisamment d’oxygène pour survivre. L’eau très froide (4°C) est plus riche en oxygène que l’eau chaude ce qui convient très bien à ces animaux qui l’absorbent par leur peau perméable.
Si les grenouilles étaient enfouies dans la boue, leurs réserves d’oxygène s’épuiseraient rapidement. C’est pourquoi, elles restent exposées au fond ou nichées parmi les pierres, les billes de bois ou de racine pour être constamment approvisionnées en oxygène grâce aux courants d’eau.
Les pieds arrière des crapauds sont dotés d’une excroissance durcie qui leur permet de creuser le sol à plus de 50 cm pour échapper au froid.
Plusieurs espèces d’amphibiens sont capables de survivre au gel grâce à des substances qui empêche les liquides corporels et le sang de geler.
Quand la température descend au-dessous de – 5°C, de minuscules cristaux de glace se forment dans leur corps congelant environ 40% de leur contenu en eau. Les animaux cessent de respirer, leur sang de circuler et leur cœur de battre. Au printemps, ils décongèlent parfois en une seule journée et peuvent reprendre leurs activités. C’est le cas de la grenouille des bois, en Amérique du Nord, de la rainette versicolore, de la rainette crucifère et de la rainette criquet.
Ces amphibiens, qui se trouvent sous une couche de feuilles près de la surface, sont vulnérables quand l’hiver est rude. L’urée qui s’accumule dans leurs tissus et la conversion du glycogène du foie en glucose font office de produits antigel et leur permettent d’abaisser le point de congélation de leurs tissus corporels. Le processus est réversible : une fois que les grenouilles dégèlent, le glucose est reconverti en glycogène. On parle de cryopréservation ou cryoconservation.
La diapause est une autre façon de passer l’hiver dehors. Elle a été particulièrement étudiée chez les insectes mais on peut la retrouver chez d’autres invertébrés : araignées, petits crustacés d’eau douce ou d’eau saumâtre, vers de terre… C’est un des phénomènes d’adaptation au milieu les plus élaborés pendant des conditions défavorables.
La diapause est une forme de vie ralentie, génétiquement déterminée, une phase d’arrêt du développement pendant des périodes hostiles de l’environnement. Cet important mécanisme adaptatif permet aux animaux de résister et de survivre aux variations saisonnières de leur habitat et de synchroniser les différents stades de leur cycle de vie avec celui des saisons. La diapause est déclenchée avant l’apparition de facteurs défavorables et elle n’est pas levée par la seule disparition de ceux-ci. Elle se maintient un certain temps quel que soit l’environnement présent.
Chez les insectes, la diapause correspond à un arrêt momentané de développement de l’œuf, de la larve ou de la nymphe, ou une période léthargique de l’adulte selon les espèces. Ainsi les coccinelles ne sont en diapause qu’à l’âge adulte ; quand les mois d’automne arrivent, elles choisissent l’abri le plus chaud qu’elles peuvent trouver pour dormir durant tout l’hiver. D’une espèce à l’autre, les sites adaptés varient : des troncs d’arbre ou des piquets de clôture par exemple.
Comme pour les adaptations évoquées précédemment, on note une accumulation des réserves énergétiques avant la période de diapause, une diminution simultanée et extrême de la digestion et de la respiration et dans certains cas, la synthèse de substances « antigel » comme le glycérol, majoritairement, d’autres polyols et certaines protéines qui accumulés dans le sang et les tissus empêchent la congélation de l’animal (exemple : la mouche arctique ou Rhabdophaga strobiloïdes).
Tous les insectes ne subissent pas de diapause. Bon nombre d’espèces d’insectes à cycle long se protègent en s’enfouissant dans le sol où les variations de température sont moindres. Elles y mènent, tant que les conditions sont défavorables, une vie ralentie sans qu’il y ait réellement une diapause : on parle de quiescence.
Ainsi se termine notre article consacré à l’hibernation chez les animaux. J’espère qu’il vous a permis de mieux identifier les différentes stratégies en fonction des espèces et ainsi d’utiliser les termes appropriés pour chaque animal.
On retiendra que la Nature est pleine de ressources pour permettre à la vie de poursuivre son cours malgré des conditions hivernales difficiles. De plus, elle est source d’inspiration pour la médecine dans plusieurs domaines : on parle d’hypothermie préventive pour abaisser artificiellement la température corporelle du patient afin de réduire les processus vitaux lors d’interventions en chirurgie cardiaque ou en neurochirurgie et chez certains patients ayant eu une hypoxie cérébrale comme par exemple après une réanimation cardiopulmonaire.
Les températures basses mais supérieures au point de congélation sont utilisées pour stocker temporairement des organes pour la transplantation. L’hibernation dans l’azote liquide (mieux appelée cryopréservation ou cryoconservation) est utilisée pour la conservation des spermatozoïdes et des embryons humains. Il est impossible pour des raisons techniques liées à la vitesse de congélation et de décongélation de conserver des pièces plus grandes.
Préservons la Nature car elle n’a pas fini de nous ravir, de nous surprendre et peut-être de nous sauver.
Sources :
https://sciencepost.fr/2018/01/hivernation-hibernation-ces-quoi-difference/
https://www.aquaportail.com/definition-3453-hibernation.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hibernation
https://nature.discoveryplace.org/blog/ask-a-naturalist-hibernation-vs.-brumation-vs.-estivation
https://phz8.petinsurance.com/ownership-adoption/pet-ownership/pet-behavior/reptile-brumation
http://www.karch.ch/karch/en_US/home/spannendes–wissenswertes/amphibien–reptilien-im-winter.html
https://www.ontarioparks.com/parcsblog/comment-grenouilles-et-crapauds-passent-lhiver/
Les Animaux du Froid – Le Monde des Animaux hors-série – 23 – page 62 à 71
Cet article a été sélectionné et rédigé par le Dr CARRERE