Printemps est un petit bonhomme pas plus haut que trois pommes.
Il a des yeux bleus comme le ciel, des cheveux blonds comme le bon soleil, un petit nez en trompette et une bouche rouge comme le coquelicot. Il est toujours habillé d’une salopette de couleur vert tendre et marche d’un pas alerte par monts et par vaux : comme tous les ans, il a un rendez-vous important qu’il ne veut surtout pas manquer.
Le premier jour de son arrivée, il rencontre Hiver, bien emmitouflé.
– Bonjour, Hiver ! Comment vas-tu ?
– Bonjour, Printemps ! Je vais bien merci. J’ai été très occupé ces derniers mois. Il est temps à présent que je te cède la place.
– Merci, tu es bien gentil ! Alors, au revoir et à l’année prochaine !
– Au revoir, Printemps. A ton tour maintenant.
Et c’est ainsi qu’Hiver disparaît, laissant doucement le soleil faire une percée à travers les nuages.
Progressivement, l’atmosphère se réchauffe pour le plus grand bonheur de Dame Nature qui reprend des couleurs. Les arbres se couvrent de gros bourgeons charnus dont certains laisseront s’épanouir de petites feuilles fragiles tandis que d’autres laisseront éclater de jolies fleurs aux parfums subtils.
Printemps, tout heureux en pensant à son rendez-vous, poursuit sa route joyeusement quand soudain une voix enchanteresse l’interpelle le sortant de sa rêverie.
– Bonjour, Printemps !
– Bonjour, Madame la Rose ! Comment allez-vous aujourd’hui ?
Je vais merveilleusement bien mon cher enfant, merveilleusement bien grâce à ce splendide soleil.
– Que vous êtes belle ! Et vos enfants, comment se portent-ils ?
– Bien comme tu peux le constater dit-elle en jetant un regard attendri aux bourgeons qui l’entourent.
– Printemps, Printemps, viens jouer avec nous s‘écrient-ils ensemble.
– Non, je ne peux pas, on m’attend, je suis pressé.
– Allez les enfants, jouez tous seuls. Laissez Printemps tranquille, il est très occupé.
– Bonjour, Monsieur Soleil, venez discuter avec nous !
– Avec joie, Madame la Rose ! Bonjour, Printemps !
– Bonjour Monsieur Soleil ! Vous avez l’air en forme !
– Tout à fait maintenant que tu es revenu. J’ai du plaisir à briller et je m’amuse comme un fou malgré mes quelques milliards d’années. C’est que je commence à me faire vieux mais le cœur y est encore.
– Je suis ravi de vous revoir Monsieur Soleil mais il faut que je vous abandonne car je dois me rendre à mon rendez-vous.
– Je sais, je sais, comme tous les ans. Mais tu as raison Printemps. La ponctualité est la politesse des rois. Alors, au revoir, Printemps !
– Au revoir, Madame la Rose ! Au revoir Monsieur Soleil !
– Au revoir Printemps dit Madame la Rose dans un frémissement de pétales. Et notre adorable petit bonhomme repart d’un bon pas, impatient d’atteindre son but. Sur son passage, les animaux, les fleurs et les arbres, tous le saluent allègrement.
– Bonjour Printemps !
– Bonjour les amis ! répond toujours gaiement Printemps. Comment allez-vous ?
– Parfaitement bien et ceci grâce à toi bien sûr. Nous revivons !
Tout le long de son chemin, une multitude de fleurs sortent de terre déployant leur corolle de pétales multicolores. Une nuée d’abeilles butineuses les prennent d’assaut afin d’en extraire le précieux nectar tandis que de splendides papillons essaient de se faire une petite place.
Une cohorte de jeunes faons nés récemment accourent gaillardement mais maladroitement. Ils sont curieux de découvrir pour la première fois le charmant personnage dont leurs mères leur ont tant parlé.
Ils sont précédés par les lapereaux facétieux qui jouent à cache- cache entre les jambes de Printemps.
Les hérissons gagnés par la liesse générale abandonnent leur peur légendaire pour laisser apparaître leur ravissante frimousse.
Les écureuils curieux sautent de branche en branche.
Les renardeaux espiègles et taquins se chamaillent en permanence pour attirer l’attention de Printemps.
Mais imperturbable, Printemps continue sa progression, accompagné du joyeux gazouillement des oiseaux. Les oisillons reprennent en chœur le chant de leurs parents sous leur regard attendri. Des couples retardataires abandonnent leur parade nuptiale pour entamer une pétillante ritournelle.
Dame Nature, radieuse, admire ce fabuleux spectacle et se réjouit du retour de Printemps.
Mais qu’est-ce qui pousse Printemps à marcher d’un si bon pas ?
Depuis la nuit des temps, chaque année, il a rendez-vous avec son grand ami le vieux chêne millénaire. Printemps est inquiet pour ce dernier. Les intempéries sont de plus en plus violentes et la pollution fait des ravages. Et si les Hommes avaient décidé sous un faux prétexte dont ils sont coutumiers de le supprimer ?
Plongé dans ces sombres réflexions, quelques nuages accrochés au-dessus de sa tête laissent échapper une douce ondée.
Enfin au loin, Printemps aperçoit le sommet des grosses branches de son ami.
– Hourra ! pense-t-il. Il est toujours là ! Quel soulagement !
Dans un frémissement de feuilles accompagné de quelques craquements de branches, le vieux chêne interpelle son jeune ami :
– Bonjour Printemps !
– Bonjour Monsieur Chêne ! Comment allez-vous ? Que je suis heureux de vous revoir et de vous serrer dans mes bras. Comment avez-vous passé le dernier hiver ?
Puis, il prend du recul, examine Monsieur Chêne et dit les yeux remplis de larmes.
– Vous êtes toujours aussi magnifique ! Les années glissent sur vous sans jamais vous atteindre.
– Et bien ! Et bien Printemps ! Ne sois pas aussi ému. Certes j’ai vécu des moments difficiles mais finalement, je suis toujours là. Pour rien au monde je n’aurais voulu manquer notre rendez-vous. Ton retour est un moment magique dont je ne me lasse jamais. Revoir les feuilles jaillir des bourgeons, les fleurs s’épanouir dans les campagnes et les forêts, le ciel se remplir du vol des oiseaux, entendre leur chant mélodieux, apercevoir les autres animaux s’ébattre joyeusement : tout cela me remplit de bonheur.
– Oui je sais Monsieur Chêne, répond Printemps d’un petit air triste.
Malgré les dires de son ami, l’inquiétude ne le quitte pas.
Il reconnait que les humains ont commencé à prendre conscience de la grande valeur de Monsieur Chêne et de leurs erreurs passées. Ils essaient maintenant de le protéger mais il est peut-être déjà trop tard. Pourront- ils assurer sa survie ?
Le vieux Chêne le regarde troublé par sa tristesse.
– Printemps, Printemps arrête de te faire du mauvais sang pour moi. La peur n’évite pas le danger. Je suis touché par ta sollicitude mais il faut savoir vivre et profiter des bons moments. Jette un coup d’œil autour de toi, le présent est merveilleux. Tout n’est que beauté et prospérité. Chasse ces idées noires car elles ne résolvent rien. Ensemble nous trouverons une solution et faisons un peu confiance aux humains : ils sont aussi capables du meilleur.
La grande sagesse de Monsieur Chêne finit par convaincre Printemps.
– Vous avez raison, Monsieur Chêne. Laissons-nous porter par la bonne humeur ambiante et contemplons la renaissance de Dame Nature.
Printemps, fatigué par toutes ces émotions, s’assoit et se love entre les énormes et robustes racines de Monsieur Chêne qui l’enlacent tendrement.
Ils peuvent enfin reprendre leur discussion interrompue l’année dernière : ils ont tant de choses à se raconter…
Les oiseaux, les biches, les renards, les lapins et les écureuils, accompagnés de leurs petits, viennent de partout les rejoindre pour partager cet instant de sérénité.
Ils sont là pour remercier Printemps de sa générosité.
– Monsieur Chêne a raison, pense-t-il. Ayons confiance en l’avenir. Profitons des trois mois à venir et commençons à préparer notre grande fête du 21 juin qui cédera la place à l’Été.
Une brise légère emporte ses douces pensées. Printemps peut enfin fermer les yeux et se reposer un instant….
Dame Nature irradie de bonheur. Printemps est là. La vie est belle !
Cette jolie petite fable inédite vous est offerte par le Dr Carrère